Thérapie génique pour une maladie du sang
Un patient atteint de bêta-thalassémie, l'une des maladies génétiques les plus fréquentes au monde, a pour la première fois été soigné en France par thérapie génique.
Par Sandrine Etien, journaliste scientifique.
Chaque année dans le monde, 60 000 enfants naissent atteints de bêta-thalassémie, et 300000 autres, de drépanocytose. Ces deux maladies du sang sont les maladies génétiques les plus fréquentes au monde.
Leur cause? Des mutations du gène de la bêta-globine, constituant essentiel de l'hémoglobine, la molécule des globules rouges qui transporte l'oxygène. Les patients les plus atteints souffrent d'une anémie sévère qui met leur vie en danger, et ont impérativement besoin de transfusions sanguines régulières pour survivre. Les traitements curatifs, eux, manquent cruellement. Jusqu'à présent, le seul envisageable était une greffe de moelle osseuse, sous réserve de trouver un donneur compatible. Mais un nouvel espoir se fait jour: en septembre 2010, une équipe française a publié les premiers résultats positifs de traitement de la bêta-thalassémie par thérapie génique. Le patient, âgé de 18 ans à l'époque du traitement, en 2007, n'a aujourd'hui plus besoin de transfusion [1].
Ce protocole expérimental, coordonné par Philippe Leboulch, du Commissariat à l'énergie atomique, a nécessité la collaboration de médecins, de spécialistes des greffes de moelle et de biologistes. Le patient a été guéri par greffe de ses propres cellules souches de moelle osseuse : celles-ci lui ont été prélevées, modifiées par ajout d'une copie normale du gène codant la bêta-globine, puis réinjectées-le patient ayant entre temps subi une chimiothérapie visant à éliminer les cellules souches malades restantes. Peu à peu, les cellules génétiquement corrigées se sont multipliées dans sa moelle, donnant entre autres des globules rouges fonctionnels.
Des souris à l'homme. Si la démarche semble simple, sa mise en œuvre est l'aboutissement de plus de dix années de travail. En 2001, Philippe Leboulch avait réussi à soigner par thérapie génique des souris atteintes de drépanocytose. «Mais c'est une chose de guérir des souris, c'en est une autre de traiter des patients, souligne Salima Hacern-Bey-Abina, du département de biothérapie de l'hôpital Necker à Paris, qui a participé au récent essai clinique. Car il faut s'assurer au maximum que le vecteur que l'on utilise pour insérer le gène normal dans les cellules malades soit non seulement efficace, mais aussi sans danger pour le patient. »
Au final, il aura fallu plusieurs années pour le mettre au point : il s'agit d'un virus dérivé du virus du sida, privé de ses gènes de virulence et muni du gène de la bêta-globine, et susceptible d'être utilisé pour soigner tant la bêta-thalassémie que la drépanocytose.
Le patient traité est toujours suivi pour s'assurer sur le long terme de l'efficacité et de l'innocuité de la thérapie. Un second patient sera traité début 2011. Si tout va bien, huit autres patients seront inclus dans l'essai, qui devrait totaliser cinq patients atteints de bêta-thalassémie, et cinq souffrant de drépanocytose.
[1] M Cwazzana-Calvo étal, Nature. 467, 318, 2010.
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