[DÉCRYPTAGE] Comment des bactéries voyagent avec des graines

Dimanche 17 Juillet 2011

[DÉCRYPTAGE] Comment des bactéries voyagent avec des graines
06-07-11

De Hambourg à Bègles jusqu'à l'Égypte, en passant par l’Angleterre, Anvers et Rotterdam… l’enquête menée en Europe sur l’origine des graines germées contaminées par une bactérie Escherichia coli nous fait remonter de plus en plus loin en amont de la chaîne. Comment des bactéries peuvent contaminer des graines et voyager au long cours avec elles ? Explications.

Le lien est désormais fermement établi entre l’épidémie due à Escherichia coli centrée en Allemagne, qui a touché  plus de 3.000 personnes, et les 11 personnes tombées malades après la fête du centre de loisirs de Bègles, en France. Les mêmes pousses germées à partir de graines de fenugrec sont impliquées, avec la même souche d’Escherichia coli entéro-hémorragique (le sérotype O154 :H4). En Allemagne, les graines ont  été cultivées dans une ferme. En France, c’est au centre de Bègles qu’elles ont germées. L’origine de la contamination est donc antérieure à la germination.

Le long voyage des graines

L’Agence européenne de sécurité sanitaire  (EFSA) publie ce mardi 5 juillet un compte-rendu détaillé de son enquête sur l’origine des graines de fenugrec impliquées dans les colites hémorragiques en Allemagne et en France.
Un lot de 15 tonnes importé d’Egypte en novembre 2009 est directement lié aux deux épidémies. Ce lot embarqué à Damiette (Egypte) a été débarqué à Anvers puis expédié par barge à Rotterdam (Hollande).
De là il a été livré par camion à l’importateur allemand. Celui-ci en a vendu à la ferme allemande d’où venaient les pousses germées contaminées : il en aussi vendu à un distributeur britannique auprès duquel se fournissait Jardiland. C’est ainsi que le centre de loisirs de Bègles a lui aussi été en possession de graines de fenugrec provenant du même lot.

L’EFSA poursuit la traque des graines issues de ce lot égyptien en Europe.

L’enquête de l’Agence européenne de sécurité sanitaire remonte à un fournisseur égyptien (lire ci-contre). L’EFSA affirme avec certitude que les graines de fenugrec ont été contaminées par la bactérie avant que l’importateur allemand répartisse les lots. Mais quand ?

1/ le champ
La première hypothèse, très plausible, est celle d’une contamination à la ferme, lors de la production des graines. De nombreuses bactéries (Escherichia coli, Salmonella, Campylobacter..) peuvent contaminer les cultures. «La contamination peut venir de l’eau d’irrigation, des oiseaux sauvages (ils sont attirés par les champs de luzerne, souvent irrigués par inondation dans les zones arides), des animaux domestiques ou du fumier utilisé pour fertiliser les champs» explique Amy Charkowski, de l’Université de Wisconsin-Madison (États-Unis). Lorsque de l’épandage des engrais naturels sur des champs, les poussières issues de ces fertilisants peuvent se déposer sur les cultures alentours et transporter des bactéries, précise cette spécialiste de pathologie végétale. Nombre de graines étant destinées à être plantées et non mangées, les normes sanitaires ne sont pas aussi strictes que pour les produits destinés à l’alimentation.

2/ stockage et transport
Si des graines de luzerne, de fenugrec ou de radis ont été contaminées en champ, elles deviennent d’excellents véhicules à long terme pour les bactéries. «Des salmonelles peuvent rester viables sur des graines de luzerne pendant plusieurs années» explique par exemple Amy Charkowski.
Les bactéries peuvent se loger sur ou sous la couche protectrice de la graine (le tégument). La contamination peut même avoir lieu dans l’embryon, même si c’est plus rare, précise Jeri Barak, spécialiste de ces questions à l’université de Wisconsin-Madison.
La capacité d’une graine à transporter ces microorganismes dépend par ailleurs de sa conformation et de son aspect plus ou moins lisse. Il y a vraisemblablement des variantes d’une espèce à l’autre.

3/ germination
C’est l’étape qui rend les graines particulièrement dangereuses d’un point de vue sanitaire : la germination. Pendant deux à sept jours en moyenne, les graines sont placées dans un environnement tiède et humide, irrigué en permanence. Les matières organiques libérées par les graines en germination sont autant de nutriments pour les microorganismes. «Les bactéries peuvent doubler leur nombre toutes les 30 minutes quand les conditions leurs sont favorables, précise Amy Charkowski. Ainsi, dans un tambour rotatif utilisé pour la germination, même s’il n’y a que 100 ou 1.000 cellules pathogènes à l’origine, il peut y en avoir une quantité énorme au bout de trois jours, répartie dans tout le tambour». Dans l’eau sortant du tambour on retrouve des concentrations élevées de bactéries (jusqu’à 100.000 par millilitre), ajoute la biologiste. La plupart du temps, les bactéries présentes dans ces tambours sont inoffensives. Mais il suffit de quelques milliers de bactéries E. coli ou Salmonella pour rendre des personnes malades en mangeant les pousses germées.

Des expériences menées en laboratoire montrent que des bactéries peuvent se trouver sur les plantes mais aussi dans les tissus. «Les bactéries colonisent souvent les stomates des feuilles, les orifices qui servent aux échanges gazeux de la plante» expose Amy Charkowski. «Il y a aussi un peu d’espace entre les cellules des plantes que les bactéries peuvent occuper.»

Décontamination difficile
Face à ce problème, le lavage des graines avec des produits chlorés est recommandé avant la germination. Ainsi aux États-Unis, en 1999, 87 cas d’infection par la bactérie Salmonella enterica ont été signalés dans plusieurs États, après la consommation de graines germées de luzerne (alfalfa). L’enquête a permis de remonter jusqu’à deux producteurs de pousses qui n’avaient pas désinfecté les graines avant germination. La FDA recommande donc aux producteurs de nettoyer les graines, même si ce procédé n’est pas efficace à 100%. Il réduit les populations de microorganismes mais ne les détruit pas totalement.

«Face à la difficulté de décontaminer les graines, des travaux ont examiné la surface de certaines graines, précise par mail Christophe Nguyen-The, directeur de recherches à l’Inra (Avignon). Ils permettent d'observer qu'une partie des bactéries est "inaccessible" aux désinfectants chimiques, sans doute à cause de la géométrie très tourmentée de la surface de ces graines».


Source : Cécile Dumas - Sciences et Avenir.fr - 05/07/11

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