Une nouvelle technique pour restaurer le rythme cardiaque |
Un choc électrique de grande amplitude, souvent douloureux, est la seule méthode pour traiter certains cas d’arythmie cardiaque chronique. Une nouvelle technique reposant sur des impulsions beaucoup plus faibles a été conçue par une collaboration internationale de physiciens et de cardiologues1 impliquant notamment Alain Pumir, chercheur CNRS au Laboratoire de physique de l’ENS Lyon (CNRS/ENS Lyon/Université Lyon 1). Testée in vivo, elle s’est avérée efficace pour restaurer le rythme cardiaque chez des animaux souffrant de fibrillations auriculaires (arythmies les plus fréquentes dans le monde). Même s’il reste à la tester sur des patients, ces premiers résultats sont encourageants et pourraient permettre d’imaginer des méthodes de défibrillation indolores. Ces travaux sont publiés le 14 juillet 2011 dans la revue Nature.
Avec plus de 10 millions de personnes touchées en Europe et aux États-Unis, la fibrillation auriculaire (ou atriale) est le plus fréquent des troubles du rythme cardiaque. Cette arythmie2 correspond à une action non coordonnée de certaines cellules du muscle cardiaque. Des impulsions électriques peuvent alors se propager de manière chaotique dans le cœur, empêchant les contractions régulières de l’organe, et donc le transport de sang dans l’organisme. Pour réduire la fibrillation auriculaire et tenter de restaurer un rythme cardiaque normal, l’utilisation de médicaments est loin d’être suffisante. La méthode la plus efficace reste l’application d’un choc électrique externe (via un défibrillateur). La défibrillation consiste à faire passer volontairement et brièvement un courant électrique dans le coeur afin de restaurer rythme cardiaque normal. Cette impulsion électrique de grande intensité (champ électrique élevé) peut endommager les tissus et est souvent perçue comme très douloureuse. Jusqu’à présent, il était impossible de réduire son intensité sans prendre le risque que la défibrillation ne fonctionne pas.
Les chercheurs ont tout d’abord étudié les interactions entre le champ électrique et les tissus cardiaques. Imposer un champ électrique élevé (cas des défibrillateurs classiques) permet de générer des ondes dans le tissu cardiaque, principalement à partir des vaisseaux. Cet ensemble d’ondes s’annule ensuite, ce qui permet de restaurer le rythme cardiaque. Avec un champ électrique plus faible, les chercheurs ont supposé que moins de sources seront excitées. Leur hypothèse de travail a été la suivante : il faut réitérer à plusieurs reprises le choc électrique. C’est ce qu’ils ont ensuite vérifié in vivo. Utilisant un cathéter cardiaque classique, les chercheurs ont appliqué une série de cinq impulsions de faible intensité dans le coeur animal. Après quelques secondes, ce dernier battait à nouveau de manière régulière. Baptisée « LEAP » (pour Low-Energy Anti-fibrillation Pacing), leur nouvelle technique fonctionne sur le même principe que les défibrillateurs existants, tout en provoquant une réponse très différente dans le cœur. Peu après le choc électrique, le tissu cardiaque ne peut plus transmettre aucun signal électrique ; l’activité chaotique est terminée. Le cœur reprend alors son activité normale.
LEAP utilisant des champs électriques faibles, cette nouvelle technique serait moins douloureuse et moins dommageable pour le tissu cardiaque que les défibrillateurs existants (réduction de 80 % de l’énergie nécessaire). Autre atout, elle permet de restaurer le rythme cardiaque plus progressivement que les techniques actuelles. Chaque impulsion active davantage de tissus, permettant une suppression progressive de l’activité turbulente du coeur. Les vaisseaux sanguins ou autres « hétérogénéités » cardiaques, comme les défauts d’orientations des fibres cardiaques, agissent comme des centres de contrôle : une fois activés, ils permettent de « reprogrammer » le cœur.
Pour parvenir à ces résultats, les chercheurs se sont donc intéressés à la compréhension fine de l’effet du champ électrique sur le muscle cardiaque. Alain Pumir a apporté son expertise de physicien dans ce travail. Les expériences menées par Stefan Luther et Eberhard Bodenschatz au Max-Planck-Institut en Allemagne, Flavio Fenton et Robert Gilmour à l’Université Cornell aux États-Unis, et leurs collègues se sont appuyées sur des techniques de visualisation à haute résolution temporelle ou spatiale. Complétées par des simulations numériques, elles ont permis d’élucider de manière très précise les phénomènes impliqués.
Démontrés chez l’animal pour des fibrillations auriculaires, ces résultats pourraient également s’appliquer au traitement des fibrillations ventriculaires, une arythmie mortelle. LEAP pourrait alors permettre d’éliminer la douleur, d’améliorer le taux de succès du traitement, et de prolonger la durée de vie des batteries des défibrillateurs implantés ou externes actuellement utilisés. Prochaine étape : tester ce dispositif sur des patients, avant d’espérer développer de nouvelles thérapies pour traiter les arythmies cardiaques.
1 Sont également impliqués l’Institut Max-Planck et l’Université de Médecine de Göttingen, en Allemagne, l’Université Cornell et le Rochester Institute of Technology, aux États-Unis, le Laboratoire de physique de l’ENS Lyon (CNRS/ENS Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1) et l’Institut non linéaire de Nice (CNRS/Université de Nice) en France.
2 Dans un cœur dit « normal », les impulsions électriques se propagent dans le muscle cardiaque de manière ordonnée, ce qui permet des contractions régulières du muscle.
Bibliographie
Low-energy Control of Electrical Turbulences in the Heart.
Stefan Luther, Flavio H. Fenton, Bruce G. Kornreich, Amgad Squires, Philip Bittihn, Daniel Hornung, Markus Zabel, James Flanders, Andrea Gladuli, Luis Campoy, Elizabeth M. Cherry, Gisa Luther, Gerd Hasenfuss, Valentin I. Krinsky, Alain Pumir, Robert F. Gilmour Jr., Eberhard Bodenschatz. Nature, 14 juillet 2011.
Contacts
Chercheur CNRS
Alain Pumir
alain.pumir@ens-lyon.fr
Presse CNRS
Priscilla Dacher
priscilla.dacher@cnrs-dir.fr
Communication en région
CNRS Rhône Auvergne
Sébastien Buthion
sebastien.buthion@dr7.cnrs.fr
ENS de Lyon
Joelle Pornin
joelle.pornin@ens-lyon.fr
Université Claude Bernard Lyon 1
Béatrice Dias
beatrice.dias@univ-lyon1.fr
Source La Gazette du Laboratoire